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Voir la Terre Sainte à travers nos propres yeux

Le 6 juin 2018, Marie-Armelle Beaulieu, rédactrice en chef du Terre Sainte magazine, a été interviewée par Stéphanie Dupasquier de la chaîne française KTO TV sur la situation actuelle et la future des chrétiens en Terre Sainte. La suivante est une traduction de certaines parties de la conversation.

 

Alors vous allez nous parler bien sûr de ce que vivent les Chrétiens en Terre Sainte. On en entend parler ici surtout à travers les drames. Dites-nous, est-ce qu'on a un prisme d'un peu déformant?

Oui, effectivement on a un prisme déformant puisqu'en fait, on a des narratifs de la part tant des Israéliens et des Palestiniens qui sont déformés. Alors, si on parle d'une information déformée et qu'ensuite on doit la faire rentrer dans des formats audiovisuels ou télévisuelle d'une minute à une minute trente, ça devient très difficile à comprendre.

La situation aujourd'hui …  Est-ce que vous avez le sentiment que ça se dégrade?

Alors, ça fait 32 ans que je connais ce pays où je réside donc, depuis 18 ans, et oui, la situation n'en finit pas de se dégrader. Ça ne veut pas dire qu'il y a davantage de violence. ... Mais ce qui se dégrade, je dirais précisément, ce sont les chances de paix, à mesure que les peuples se blessent l'un l'autre, l'Israélien Juif d'un côté et les Palestiniens chrétiens et Musulmans de l'autre. Et donc, à mesure que ces deux peuples se blessent, … eh bien, les issues vers la paix semblent plus petites, plus lointaines, plus obscures … Un collègue du Monde parlait non pas du processus de paix mais du « regressus » de paix. Ce qui a été construit dans les années 90 avec les accords d'Oslo.

Pouvez-vous nous situer un peu, la cartographie chrétienne?

Alors, les Chrétiens représentent 1,5% de la population totale de l'état d'Israël et des territoires palestiniens. Ça veut dire quoi?

Ça veut dire qu'il y a dans l'état d'Israël 130,000 Chrétiens palestiniens, donc arabe, au milieu d'eux – environ un petit 7 millions de Juifs et 1 800,000 Musulmans qui ont la nationalité israélienne. En face de ces deux blocs, 130,000 Chrétiens arabes pour treize confessions chrétiennes différentes.

Et puis, dans les territoires palestiniens, on a [dans] … la bande de Gaza, 1,900,000 personnes au milieu desquelles vivent mille Chrétiens, tous les autres étant Musulmans. Et pour les territoires palestiniens, un petit 3 millions d'habitants au milieu desquelles vivent 50,000 Chrétiens.

C'est vraiment une minorité qui a une profusion de confessions chrétiennes, une église très riche, très variée, très belle ; mais une situation très minoritaire de la présence chrétienne locale en Terre Sainte.

En revenant à la discussion sur la détérioration de la situation et sur la diminution de la possibilité de paix, compte tenu de la situation actuelle, la journaliste demande ...

On va revenir donc sur ces tensions, … Dites-nous qu'est-ce qui a mis le feu aux poudres?

Sans aucun doute c'est la reconnaissance par les États-Unis d'Amérique de la ville de Jérusalem comme capitale de l'état d’Israël. … Ça a mis le feu aux poudres parce que c'est contre le droit international. C’est à dire que les États-Unis d'Amérique s'assoient sur le droit international en faisant cette déclaration unilatérale, alors pas tout à fait unilatérale, puisqu'en fait ils suivent la politique israélienne. Mais c'est contre le droit.

Deux mots d’histoire : Quand en 1947, les Nations-Unis envisageaient de partager la Palestine historique, un côté devait revenir à l'état hébreu à être l'état d'Israël et l'autre partie à un état palestinien. Or les Palestiniens n'ont pas apprécié qu'on leur vole, de leur point de vue, la moitié de leurs terres ; par conséquent, ils n'ont pas cherché à bâtir leur état mais ils ont cherché à lutter contre l'état qui s'installait, l'état juif. Et le statut de Jérusalem, au moment de ce partage, devait être discuté une fois qu'on aurait la paix. 70 ans après, il n'y a pas la paix ; donc le statut de Jérusalem n'a jamais été discutée. Pour les Nations-Unies, ça devait être une ville régie par le droit international.

Il y a eu aussi un événement tout à fait étonnant, et même sans précédent : ça a été la fermeture du Saint-Sépulcre. … Donc les églises qui ont fait procéder à la fermeture du Saint-Sépulcre manifestent en signe de protestation contre l’Israël, [c’était] une situation qui a duré pendant trois jours. … Les causes de ce geste? Les explications dans ce reportage de Terra Santa News

Les portes du Saint Sépulcre ont été fermées jusqu'à nouvel ordre dans la matinée du dimanche 25 février. C'est une protestation partagée par les trois communautés responsables de la basilique : le Patriarcat grec orthodoxe, la Custodie de Terre Sainte, et le Patriarcat arménien. En cause, le dernier projet de loi proposé par le gouvernement israélien sur les biens de l'église, ainsi que les récentes mesures fiscales proposées par la municipalité de Jérusalem. … Les mesures … sont considérées comme une violation grave du statu quo et une tentative d'affaiblir la présence chrétienne dans la ville Sainte. Récemment cette campagne systématique et offensive a atteint un niveau sans précédent lorsque la municipalité de Jérusalem a publié des avis de collecte scandaleuse et des ordres de saisir des biens, des propriétés, et des comptes bancaires de l'église en rétorsion de soi-disant dette d'impôts locaux.

Donc, la finalité c'est de rogner du terrain, récupérer de l'argent. C'est quoi le but en fait?

C'est difficile à répondre, parce qu’il ne faut pas faire des réponses trop catégoriques non plus devant l'état d’Israël. Mais le fait est, que c'est un empêchement des églises de fonctionner.  Les églises pourtant suppléent à un certain nombre d'œuvres sociales culturelles, auxquelles l'état ne se préoccupe pas puisque juste à l'intérieur de l'état d'Israël c'est un état juif pour les Juifs. Donc, qu'est-ce qu'on devient quand on n'est pas Juif?  Si l'état se désengage sur les populations non-juives, il faut bien que quelqu'un s'en occupe, et c’est ce que font les chrétiens.  Et en définitive, il y a un certain nombre d'Israéliens juifs qui aujourd'hui, ne sont même pas contents que les Chrétiens suppléent à ce manque puisque ça veut dire qu'on arrive à conserver une présence non-juive dans la terre réservée aux Juifs.

Alors, attention : ce n'est pas l'ensemble des Israéliens, ce n'est pas l'ensemble des Juifs, ni en Israël, ni à l'extérieur d'Israël.  Mais cette pression, elle existe ; elle est forte. … Ces deux attaques contre l'église ont suffisamment alerté toutes les églises pour que, en leur nom, les Grecs orthodoxes, les Franciscains, au nom de l'Église catholique romaine, et les Arméniens apostoliques … Ces sont les trois gardiens … en fait, du Saint-Sépulcre … Voilà, en fait, ce sont dans le cadre de ce qu'on appelle le statu quo donc le lien qui régit les relations entre les églises et l'état d'Israël.

Qu'est-ce que ça donnait depuis?

Eh bien, la situation est gelée. Effectivement, l’Israël n'a pas renoncé à son projet mais il a dit qu'il fallait le discuter. Il faut d'autant plus discuter que des accords sont en cours entre l'état d'Israël et le Saint-Siège pour trouver justement une solution, y compris vis-à-vis des taxes, des impôts, des terres, des propriétés, de la reconnaissance légale fiscale des églises à l'intérieur de l'état d'Israël. …  Aujourd'hui, le temps est revenu à la diplomatie, le temps est revenu où une commission interministérielle doit se réunir du côté israélien avec des représentants des églises pour trouver une solution.

Dites-nous quels sont vos échos de terrain auprès de ces Chrétiens?

Vous savez les Chrétiens en Israël et en Palestine sont d'abord des Palestiniens, et ils réagissent avec le même souci épidermique que le Palestinien lambda parce que c'est de sa terre, c’est de sa culture, c’est de sa famille qu'il se voit privé. Donc, il ne réagit pas d'abord en Chrétien avec la possibilité extraordinaire de faire des ponts plus que les autres. C'est d'abord, un Palestinien ; et c'est d'abord un Palestinien qui de son point de vue vit sous occupation en tous les cas, dans les territoires, et avec le statut compliqué de la ville de Jérusalem. …  On est Chrétien parce qu'on n'est pas Juif, parce qu'on n'est pas Musulman.  Et, je vois une nouvelle génération de Chrétiens qui se lève à partir de l'âge de 18 ans, mais on rencontre aussi des gens jusqu'à une quarantaine d'années, qui demandent à l'église non plus qu'elle soit simplement distributrice de sacrements, mais qu'elle leur redonne des convictions chrétiennes fortes pour avoir la force d'affronter la réalité.  On arrête le rêve ; la paix ne va pas arriver demain. …  Il y a des jeunes chrétiens qui se lèvent dans des associations ou dans leurs métiers – avocats, juristes, médecins – pour avoir une vie chrétienne.  Je dirais droit dans ses bottes et pleinement à l'intérieur de la société.

… Ce sont les gens qui sont restés, ils sont de toutes les classes sociales.
… [Par exemple, il y a] un jeune palestinien catholique de rite grecque catholique, Nizar, qui est en train de faire naître un projet de magazine chrétien.  Un magazine chrétien qui va parler de culture, d'histoire débarrassée de la propagande, de toutes les propagandes, et qui va vouloir aussi donner des dossiers d'information pour que les jeunes chrétiens, et les moins jeunes, du reste puissent réfléchir à la situation, puissent discerner leur propre vie. Je reste, mais pourquoi? Je veux partir, mais pourquoi? Je suis sollicité par l'état d'Israël pour faire mon service militaire à l'intérieur de cet état, mais je suis Palestinien.  Je vais le faire, ou je ne vais pas le faire ; mais sur quels critères?  Et donc, le fait que ce journal naisse, est ainsi un signe d’espoir parce qu'en fait il va naître, parce qu'on sait qu'il est attendu, parce qu'on sait que les Chrétiens attendent les outils de discernement de leur vie.

Alors, il y a ce soutien spirituel, il y a ce soutien aussi très concret qui se vit aussi sur place, notamment avec les Franciscains, évidemment présent depuis très longtemps en Terre Sainte, depuis 800 ans ; et ils veillent, ils protègent les lieux saints, notamment le Saint-Sépulcre. Ils aident aussi concrètement les Chrétiens rester à Jérusalem, comme on va le voir dans un documentaire :

Ettore est employé par la Custodie. Son travail : réhabiliter le patrimoine immobilier des Franciscains afin d'y loger les Chrétiens de la ville … car la communauté vit une véritable hémorragie.  Entre les problèmes politiques et la crise économique, beaucoup de Chrétiens font le choix d'émigrer. Il y à un demi-siècle, ils représentaient 20% de la population. Aujourd'hui, ils sont moins de 2%.

Depuis le début, les Franciscains ont bien compris qu'ils devaient aider les Chrétiens à rester ici. … pour les Chrétiens, ça a toujours été difficile de vivre en minorité au cœur d'un tel conflit.

Aux problèmes de logement, s'ajoute la crise économique.  Faute d'emploi, beaucoup de familles n'ont plus les moyens de payer leur appartement. Et puis, à Jérusalem, la flambée des prix est encore plus forte qu'ailleurs : un appartement de 100 mètres carrés comme celui-ci, c'est environ 2 000 euros par mois.  Les familles logées par les Franciscains paieront au moins de 10 euros chaque mois.

Il y a beaucoup de soutiens comme ça, qu'on crée matériel, vis-à-vis des familles chrétiennes?

Absolument, parce qu'en effet, généralement, on voit les églises en Terre Sainte – et les Franciscains, notamment – dans la partie émergée de l'iceberg : c’est-à-dire dans la présence des Lieux saints, dans la garde des Lieux saints.  Mais on ne voit pas la partie immergée de l'iceberg, qui est toujours la plus importante.  C'est celle où ils sont dans les œuvres sociales, dans les œuvres éducatives, dans les œuvres de santé, et puis dans des œuvres très pratiques, comme ça de fournir des … sur leur propre patrimoine immobilier … des maisons aux Chrétiens de Terre Sainte. … Il y a une collecte chaque année le Vendredi saint, la collecte dite pour les Lieux saints, mais ce n'est pas simplement pour les Lieux saints ; c'est bien pour les communautés chrétiennes, tous les Chrétiens du reste, pas uniquement les Catholiques.  Mais tous les Chrétiens, qu'on peut aider, sont aidés, par les Franciscains notamment ; et c'est une grosse partie de leur travail.

On va aussi parler quelques minutes des Chrétiens côté Palestinien, notamment à Gaza, où ils sont, vous disiez, autour de 2 000 et, vu d'occident, aussi un Gaza bien sûr, aperçu que comme une terre de souffrance …  Alors pourtant, il y a une communauté chrétienne qui est présente depuis l'époque des Pères du désert, à la vie aux côtés des Musulmans.

Le Proche Orient chrétien vit avec, depuis 1400 ans, avec l'Islam au milieu de l'Islam, et quand je dis avec, c'est dans la même culture. Et donc, ils ont effectivement, … ils sont les premiers à savoir les limites qu'on peut rencontrer avec l'Islam, et à savoir aussi les ponts qu'on peut faire avec le voisin musulman, sans aucun doute.  Maintenant cette communauté chrétienne de Gaza, ils sont aujourd'hui environ 1 000 Orthodoxes, comme on l’a dit ; que c'est une goutte d'eau au milieu d’1 900 000 personnes.  Et, il souffre à Gaza, la même chose que tous les autres Gazaouis ; et il souffre aussi la façon dont on décrit Gaza.  On ne voit Gaza que comme un foyer de terroristes. Aujourd'hui, c'est surtout une population qui se révolte tous les vendredis qui veut marcher vers la barrière de sécurité – actuellement depuis deux mois, tous les vendredis – parce qu'elle refuse de mourir en silence.

Gaza, c'est … une des populations au monde les plus denses, avec plus de 5 000 habitants km carrés ; mais c'est que 4 à 5 heures d'électricité par jour, c'est que 4 à 5 heures d’eaux tous les 5 jours, d'eau potable tous les cinq jours, c'est une situation humaine catastrophique ; et la moitié de la population a moins de 18 ans, et c'est ça que vivent les Chrétiens de Gaza au quotidien avec en plus leurs différences d'être Chrétien.   Il n'y a pas de persécution à Gaza contre les Chrétiens.

Il peut y avoir des pressions parce que ça dépend du niveau d'éducation des familles que l'on rencontre dont on est voisin etc. ; mais il n’y a pas de persécutions systématiques, pas du tout.

Voilà, est-ce qu’il y a une espérance possible? Quelles conditions, on peut avancer dans la paix?

La première espérance, elle est en Christ parce que c'est la terre que le Seigneur a choisi – donc on ne peut pas désespérer de cette terre.  Il l’a choisie, il a un projet pour elle.  Je pense que le projet de vie entre Chrétiens, Juifs et Musulmans en Terre Sainte est et sera, certainement le prototype pour vivre entre Chrétiens, Juifs et Musulmans dans le reste du monde.

… Ensuite à courte vue, il n'y a pas de processus de paix qui soit en cours de fonctionnement, et je pense que pour qu’un processus de paix vraie redémarre, il va falloir que les Israéliens et les Palestiniens apprennent à respecter leurs blessures historiques mutuelles. …  Ça veut dire que les Palestiniens doivent apprendre à comprendre où est la souffrance du peuple juif historique avec des millénaires de persécution avec la Shoah en arrière-plan.  Et les Palestiniens doivent le comprendre de la même manière que les Israéliens vont devoir comprendre quelles blessures ça a été pour les Palestiniens – que de perdre leurs terres, que de devoir émigrer massivement, que d'être chassés de chez eux, que de perdre leur rêve, et aujourd'hui de se voir réduit un petit peu, à l'état des tribus indiennes comme en Amérique au 19e siècle par des colons.  Quand il y aura une reconnaissance mutuelle de cette souffrance, alors on trouvera toutes les solutions politiques possibles.

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